Moments éphémères, saisis par l’objectif. C’est ainsi que tout a commencé pour Eric Engel. Aujourd’hui, il s’est fait une place dans le paysage photographique luxembourgeois – avec un regard sensible pour ces petits instants du quotidien, sincères et souvent oubliés.
Pour Eric Engel, c’est un parcours inattendu vers la photographie. Au départ, il voulait simplement capturer des moments du quotidien avec ses enfants. « Par peur de l’oubli, j’ai acheté mon premier appareil – un Fuji XT20 », confie-t-il lors de notre rencontre dans un café chaleureux au Belval. Sur la table en bois devant nous, un appareil photo. Une Fuji.
C’est en 2017 qu’il fait cet investissement dans ses souvenirs – un geste qui changera bien des choses. Petit à petit, la photographie prend de plus en plus de place. Il y consacre du temps, beaucoup de temps. Ce qui n’était qu’un passe-temps devient rapidement une passion. Son regard s’affine, ses images deviennent plus personnelles, plus narratives, plus intimes. Sentir la vie, se poser, ordonner ses pensées, s’oublier un instant. Voilà quelques-unes des nombreuses raisons qui nourrissent sa passion profonde. Et cela se ressent, autant dans ses clichés que dans la diversité des entités qui font aujourd’hui appel à lui en tant que photographe freelance. Quand il parle de photographie, ses yeux brillent.
C’est pour reporter.lu qu’Eric Engel reçoit sa première mission en tant que photographe professionnel. « Une journaliste m’a recommandé à l’époque. Je lui en serai toujours reconnaissant. À chaque fois que j’en ai l’occasion, je le lui dis merci », raconte-t-il en souriant. Pourtant, Eric travaille à temps plein comme musicien au sein de la Musique militaire grand-ducale, où il joue de la clarinette basse. « Là, je suis plus au centre, dans une dynamique d’équipe. Chacun doit jouer son rôle. » En photographie, c’est l’inverse : « Je fais tout pour me fondre dans le décor, et je suis seul responsable de ce que je produis – que ce soit bon ou non. » Ces deux mondes lui plaisent chacun pour des raisons différentes, mais jamais il n’échangerait son métier de musicien contre celui de photographe.
Un départ spontané, un impact profond
Le style qui le touche le plus ? La street photography. Un genre non mis en scène, qui exige à la fois discrétion, réactivité et sens aigu du détail – sans jamais oublier que ce ne sont pas de simples objets, mais des humains qu’il photographie. Eric ne se voit pas comme un voyeur, mais comme un chroniqueur du quotidien. Il ne cherche ni à déranger, ni à exposer. « Ce que je veux, c’est capturer ces petits moments sincères, ceux que l’on ne fige normalement pas. » C’est précisément ce qui, à ses yeux, confère toute son importance à cette discipline. « Il n’existe aucun autre style qui capture la société de façon aussi authentique que la street photography. Et c’est quelque chose qui me tient profondément à cœur. J’ai la chair de poule quand la Photothèque publie d’anciennes photos. Aujourd’hui, je me vois dans ce rôle : documenter ce qui nous entoure ici et maintenant. Je suis l’un parmi d’autres. »
« Il n’existe aucun autre style qui capture la société de façon aussi authentique que la street photography. Et c’est quelque chose qui me tient profondément à cœur. J’ai la chair de poule quand la Photothèque publie d’anciennes photos. » – Eric Engel
La rue comme studio, l’instant comme matière : ses photos préférées naissent en chemin – dans les rues d’Europe, là où il capte la vie avec une bonne dose de passion et une grande discrétion. Une en particulier lui revient à l’esprit. On y voit une femme debout sur le trottoir, un coude tendu vers le ciel ; derrière elle passe un bus orné d’une publicité représentant un homme en sous-vêtements, figé dans une pose identique. « Je voulais faire son portrait. Je n’ai pas attendu le bus. Mais voilà : dès que tu tiens l’appareil prêt, tu augmentes tes chances. Sinon, le moment est déjà passé. » Il esquisse un sourire.
Une autre de ses photos favorites, exposée notamment dans le Parc Backes, a été prise à Paris. « La femme attendait sur le quai du métro, derrière elle il y avait une affiche avec les mots ‚Un voyage étrange‘. Le métro est arrivé, j’ai juste déclenché et espéré avoir capté quelque chose. » L’humour est un ingrédient clé dans son travail photographique. Pourtant, cette image-là s’en passe. « C’est vrai », reconnaît-il. « Mais elle a une autre profondeur. Chaque photo doit contenir une émotion, qu’il s’agisse d’humour, de nostalgie ou de tristesse. »
L’importance d’un cadre clair
Depuis 2021, Eric est membre du Luxembourg Streetphoto Collective – une plateforme qui réunit des photographes passionné·e·s, crée des expositions communes et propose des ateliers. Parmi eux, un workshop qu’il anime régulièrement aux Rotondes, où il aborde aussi des questions juridiques liées à la photographie dans l’espace public. « On a le droit de prendre des photos de personnes dans l’espace public », précise-t-il d’emblée. « Tant qu’il ne s’agit pas d’un usage commercial et que tu ne nuis pas à la personne photographiée, tu peux conserver cette image. » Une précision nécessaire, tant les flous juridiques restent nombreux. Le collectif a d’ailleurs été confronté à un cas concret : un photographe avait capté un chantier où l’on distinguait un ouvrier sans casque. « Heureusement, aucun logo n’était visible sur le casque posé à côté. Si la personne avait eu des ennuis et pu prouver que c’était à cause de cette photo, cela aurait pu aller très loin juridiquement. » La leçon ? Capturer la rue, oui, mais toujours avec responsabilité.
À partir du 9 juillet, la nouvelle exposition d’Eric Engel sera visible au Parc Backes — une série de 24 photographies prises au fil des rues, à travers l’Europe, au cours des dernières années. Les clichés sont organisés par ville, mais ils évitent les points de vue touristiques classiques. À la place, ils mettent en lumière des scènes de vie, des personnes, des interactions : ces petits instants du quotidien qui, loin d’être banals, révèlent toute la richesse de l’ordinaire.
« Aujourd’hui, je me vois dans ce rôle : documenter ce qui nous entoure ici et maintenant. Je suis l’un parmi d’autres. »
Son interplay créatif avec sa femme – une juriste dotée d’un œil affûté pour l’esthétique – constitue un pilier essentiel du travail photographique d’Eric Engel. « Pour chaque expo, ma femme regarde mes sélections. Si une image ne lui plaît pas, elle sort de la série. C’est elle qui a le dernier mot », confie-t-il en souriant.
Bien plus qu’une passion
Pour Eric Engel, la photographie est à la fois thérapie, introspection et art. « Le quotidien est intense. On travaille tous les deux, on a des enfants. Quand je pars faire des photos, je reviens chez moi apaisé. C’est une sorte de remise à zéro pour moi. » Mais ce n’est pas tout : depuis qu’il s’est plongé dans l’univers de la photographie, son cercle social a aussi évolué. « Tu es entouré de gens qui partagent la même passion. Tu échanges, tu reçois des retours. C’est extrêmement important pour moi. (Je ne suis pas encore assez bon pour pouvoir m’en passer.) Un retour négatif honnête vaut mieux qu’un compliment faux : c’est la seule façon d’avancer. »