« Nous côtoyons le vivant »

Le 2 août 1925, la Société Avicole de Belvaux voit le jour. Il va de soi qu’en un siècle, non seulement les habitudes des gens ont changé, mais la société elle-même s’est transformée. À l’occasion du centenaire, nous avons rencontré plusieurs membres pour évoquer l’histoire de l’association, leur engagement et leurs espoirs pour l’avenir.

« Enfant, j’ai grandi parmi les poules et les lapins. Mes grands-parents, des deux côtés, avaient des animaux », se souvient Franky Gilbertz lors de notre rencontre par un après-midi ensoleillé. La fascination pour le vivant devait refaire surface bien des années plus tard, comme un boomerang. La veille de la naissance de son deuxième enfant, en 2015, le site d’élevage de la Société Avicole, à côté des jardins partagés du Matgesfeld à Belvaux, a été inauguré. Il n’était alors pas encore membre. « On passait souvent devant avec les enfants et on avait envie de faire quelque chose en famille, en pleine nature. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Mett Sossong, alors président, qui m’a proposé une parcelle. L’élevage m’a tout de suite passionné. » Quelques mois plus tard, il reprenait le flambeau de M. Sossong. Ce dernier, aujourd’hui décédé, s’était battu pendant des décennies pour créer une installation collective d’élevage, y consacrant un temps et une énergie considérables.

En visitant le site, Franky Gilbertz explique que chaque animal a son propre caractère, et l’on sent bien qu’il consacre beaucoup de temps à sa passion. « Autrefois, les gens avaient suffisamment de terrain chez eux pour élever des animaux. Mais les lois sont devenues de plus en plus strictes, et les conditions de logement ont changé », constate-t-il. « Mett a veillé à ce que le financement soit bouclé et que la commune mette un terrain à notre disposition. Ce bail emphytéotique court jusqu’à fin 2058. » Les travaux ont commencé en 2010. L’Administration des services techniques de l’agriculture (ASTA) a couvert 40 % des coûts, apportant également un soutien logistique et humain. La Commune de Sanem a octroyé une subvention exceptionnelle.

Les bâtiments ont été construits en plusieurs années, en autogestion, par une poignée d’idéalistes de la Société Avicole de Belvaux. Selon ses propres calculs, Mett Sossong y a consacré plus de 3 000 heures de travail, et il a tout méticuleusement documenté. Franky nous montre quatre albums photos qui retracent en détail les différentes phases de construction et témoignent, avec sincérité, de la camaraderie et de la bonne ambiance au sein du club.

Edmond Siuda et Mett Sossong

Edmond Siuda et Mett Sossong

Edmond et Liliane Siuda

Edmond et Liliane Siuda

Edmond Siuda, également membre du comité, faisait partie du groupe. « On travaillait surtout les week-ends, parfois aussi en semaine. D’autres membres et sympathisants venaient aussi prêter main forte », se souvient-il. « On rentrait chez soi lessivés. On a bossé comme des bêtes, mais toujours dans la bonne humeur. » Edmond a connu bien des associations : football, musique, club de quilles… « J’ai découvert la Société Avicole plus tard dans la vie, il y a 25 ans, par ma deuxième épouse. Elle était marraine lors de la bénédiction du drapeau. Je me suis retrouvé parmi des inconnus, mais j’ai trouvé ma place. » Son épouse Liliane souligne, comme lui, que l’esprit d’équipe est sa principale motivation. Les deux ne s’occupent pas directement des animaux ni de l’élevage.

Chacun·e a son domaine de compétence dans la société, notamment pour l’organisation des nombreuses fêtes tout au long de l’année. « À l’époque, avec notre équipe cuisine, c’était super : faire les courses, préparer de bons plats… On allait rarement chez le boulanger, on préférait faire nos propres pâtisseries », raconte Liliane. Son mari Edmond est responsable des boissons. « Chacun est chef dans son domaine et prend ses décisions », ajoute Franky. « Et s’il y a un souci, on en discute calmement après, en comité. »

« Le contact avec les animaux et le respect de la nourriture ne vont plus de soi chez les enfants. » – Franky Gilbertz

Avec plus de 150 membres, un noyau de 15 à 20 personnes est chargé de planifier et de mener à bien les événements, de la traditionnelle exposition de poussins au printemps au KreativmoART en automne. Cette année, un événement longtemps abandonné fait son retour : « Du 14 au 16 novembre, nous organisons une exposition locale au Scheierhaff, avec des animaux adultes qui seront jugés et primés. Nous l’avons baptisée ‘Gedächtnisschau Mett Sossong’, en hommage à notre ancien président. » Une exposition retraçant l’histoire de la station d’élevage est aussi en préparation. « Bien sûr, c’est aussi pour renflouer un peu la caisse », admet Franky. « Après toutes ces années, certaines infrastructures montrent des signes d’usure. Et nous avons des frais courants. » Et justement, l’engagement envers les animaux est, lui aussi, constant, insiste-t-il : « Chaque jour, nous côtoyons le vivant. On ne peut pas faire de pause. »

La Société Avicole partage le Matgesfeld avec les Amis de la Fleur, qui s’occupent des jardins communautaires de l’autre côté du site. « Nous avons sept éleveurs actifs », précise Franky Gilbertz. « J’insiste toujours sur le fait que c’est un élevage organisé, avec des règles strictes. Nous n’élevons que des animaux de race, et tout est documenté. » Dès la fin du XIXe siècle, un club similaire existait déjà à Belvaux, mais ce n’est qu’en 1925 qu’il fut officiellement fondé sous forme de coopérative. « Une coopérative avait du sens à l’époque, notamment pour acheter du matériel en commun et commercialiser les produits finis : viande, œufs, mais aussi peaux de lapins », explique Franky Gilbertz.

« On a aussi découvert que les animaux avaient une certaine beauté, et on a établi des standards de race. » La publication en 1922 du ‘Luxemburger Prämierungs-System in der Kleintierzucht’, un document de 48 pages, a constitué un jalon important dans la région vers cette standardisation. Cette même année a vu la création de l’Union des Sociétés Avicoles du Grand-Duché de Luxembourg (USAL), à laquelle la Société Avicole de Belvaux est affiliée.

Actuellement, six parcelles individuelles du site d’élevage sont louées à prix modique, et une liste d’attente existe. « L’art de l’élevage, c’est de rapprocher au maximum l’animal du standard de sa race. Cela concerne l’apparence, bien sûr, mais aussi le caractère », précise Franky. « Est-ce un animal calme ou agressif ? Bon reproducteur ? Ce sont des critères que l’éleveur doit évaluer. » Sont considérés comme petits animaux, tout ce qu’on regroupe sous basse-cour : poules, canards, oies, faisans, lapins, cochons d’Inde, etc. Les hybrides, courants dans l’élevage industriel, sont élevés pour répondre aux besoins de la production. La Société Avicole, elle, a pour mission de préserver le patrimoine génétique et la diversité des espèces à travers les races pures.

«On a bossé comme des bêtes, mais toujours dans la bonne humeur. » – Edmond Siuda

Depuis près de 40 ans, le club intervient régulièrement dans les écoles, surtout au printemps. Le programme s’adapte à chaque cycle scolaire, offrant aux enfants une immersion concrète, de l’incubation à l’éclosion des poussins. « Avec les années, on a réalisé à quel point l’aspect éducatif est important », constate Franky Gilbertz. « Le contact avec les animaux et le respect de la nourriture ne vont plus de soi chez les enfants. » La pandémie a, en revanche, déclenché chez les adultes un engouement pour l’élevage. « Les gens étaient confinés chez eux, et beaucoup ont ressenti le besoin de faire quelque chose dans leur jardin, voire d’adopter quelques animaux. Nous avons reçu beaucoup de demandes pour des poules. Avoir deux ou trois poules chez soi, ce n’est pas énormément de travail, et ça ne prend pas beaucoup de place. On est toujours là pour conseiller. »

Poulailler mobile ou fixe ? Protection contre les prédateurs ? Obligation de déclaration ? Tous ces points doivent être pris en compte pour garantir une détention respectueuse des animaux. La Société souhaite lancer un projet permettant de louer à la fois les animaux et le poulailler adapté, en s’inspirant d’exemples venus d’autres communes comme Etterbeek en Belgique. Depuis 2023, un projet social à Belvaux, avec des travailleurs TUC de l’ONIS, pourrait appuyer la construction de poulaillers mobiles.

Les souhaits pour l’avenir sont clairs : comme pour toute association, la relève fait défaut. « Un local club pour accueillir les visiteurs nous serait d’une grande aide. On pourrait y organiser des réunions d’information et permettre aux promeneurs de s’arrêter un moment. Le local actuel (rue des Alliés, prêté par la commune) n’est pas adapté. » Le projet de construction d’un tel espace à côté de la station d’élevage reste donc d’actualité, tout comme la création de nouvelles parcelles. Le regard reste tourné vers l’avenir, même si les 20 et 21 septembre, on lèvera le verre sur place pour les 10 ans du site Mathias Sossong, à l’occasion du festival traditionnel des petits animaux.

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